UNE ESTHÉTIQUE DE LA BONTÉ

Chroniques de libres pensées créées à partir d'une citation d'auteur
par Dyane Raymond

mercredi 9 novembre 2011

« Le chant du coq, l'aube, les chiens qui aboient, la clarté qui se répand, l'homme qui se lève, la nature, le temps, le rêve, la lucidité, tout est féroce. », Pascal Quignard

Même la joie. Elle disait ça, debout, en regardant par la fenêtre : « … une joie féroce ». Je ne voyais pas alors comment la férocité pouvait intervenir sur la joie.
J’ai compris que la joie est une faim, terrible et intense ; quand elle est au meilleur d'elle-même, quand tout goûte ; quand tout se déplace dans le mouvement ordonné du désordre, comme la mer.
Une joie féroce. Un appétit. De vivre. Être dans le maintenant de la joie. Férocement.

Le ciel noir est rempli de lumière. Au milieu du jour. Le premier jour. De chaque jour.
Je t'ai connu il y a longtemps dans les agitations et les tumultes. Je t'ai aimé. J'ai aimé ta constance et tes abysses. Le ciel déverse une fumée grise, évanescente.

La solitude des matins enténébrés. Des aubes endormies. Y être seule. Vide. Férocement bien.
Jouir aussi des soirs de silence quand on n'entend que le babil du feu dans le poêle, les ronflements rauques du vieux chat. Quand on n'entend que la noirceur épaisse d'un ciel piqué d'étoiles : ce poids léger qui nous boxe les tempes.
Entre les deux il y a le vivre : tout ce qu'il faut pour vivre. Les attentes. Le désir. L'argent — ou le manque d'argent plutôt. L'âme sœur, survivante enfin heureuse. L'amie qui invente des musiques au-delà du réel. Et toi, dont chaque particule d'âme me concerne, à qui je suis amarrée et qui me sauve d'une errance éternelle.
J'ai marché longtemps dans les bois et les forêts, dans les rues de Montréal, Paris, Oujda, Madras, Thetford Mines, Disraëli... Les rues des villes sont remplies d'humains, de chiens et de chats, qui vous passent entre les jambes, vous bousculent, jappent, demandent leur chemin, parlent au téléphone. Parfois un sourire. Quelquefois rien.
Dans la forêt, je prie pour voir apparaître un chevreuil, un renard, un rapace prenant son envol, même un ours — j'aurais peur,  pourquoi pas ? Dans les bois se faufilent des milliers d'insectes qui passent entre les mailles du jour et tournoient jusqu'à épuisement. Marcher dans la nature me procure les mêmes sensations qu'écouter les musiques de Jean Derome : mon esprit s'emballe, n'appartient plus à une temporalité, mais à une étrangeté, emporté dans une parade allégorique, fixé à l'œilleton d'un kaléidoscope dans lequel se mêlent des pensées vives, s'épurant petit à petit des scories de l'ordinaire.
J’y vois la mer, hume son odeur, entre dans sa turbulence, m'affale de tout mon long dans sa lumière horizontale.
Le fleuve…