UNE ESTHÉTIQUE DE LA BONTÉ

Chroniques de libres pensées créées à partir d'une citation d'auteur
par Dyane Raymond

mercredi 23 novembre 2011


« — le mot est la petite portion visible de tout un univers caché. », Peter Brook

Dans la forêt au-dessus de chez nous, il y a un sentier que j'emprunte à chaque fois avec étonnement, bien que je le connaisse maintenant comme s'il était planté là depuis toujours. Je sais comment sont disposées les roches dans la montée, où se cachent les orties au milieu des hautes herbes, comment réagira le ruisseau par temps sec ou après de fortes pluies ; je reconnais l'empreinte de mes pas fossilisée dans la boue, la branche cassée, la couche des chevreuils sur le foin. Et pourtant ce sentier n'est jamais le même et je n'y fais, surtout, jamais le même voyage. C'est un lieu commun de dire que rien n'est immuable et que l'immobilité n'existe pas, a fortiori  dans la nature. Malgré les apparences.
Et c'est là où je veux en venir : aux apparences. Le sentier est un fil conducteur. Derrière, dessous, devant, autour s’agitent, se terrent, rampent des centaines et même des milliers d’êtres vivants. Le sentier abrite une ville que j’arpente en de longues et lentes foulées précautionneuses, le regard furetant entre les mailles des érables.  J’entends des bruissements, mais pas le souffle inquiet de la perdrix affolée qui s’envole à mon approche ; pas le froufrou du chevreuil qui s’enfuit la queue au vent en m’apercevant ; pas la laborieuse progression des fourmis sous la pierre. J’entends le tamia dans l’arbre siffler son indignation ; la corneille commérer avec ses voisines ; au loin, les chiens des voisins qui jappent, et jappent encore. J’entends la mouche lancinante qui tournoie entre mes oreilles ; le roulis du ruisseau ; le froissement de l’herbe sous mes pas. Mais je ne vois pas tout ce qui vit et palpite ; je ne vois pas tout ce qui bouge et respire ; je ne vois pas ce qui est là.
J’aperçois une lumière indicible se faufilant dans la dentelle entre les arbres. J’envie, oui j’envie, la mousse si bellement verte et soyeuse sur la roche — j’aimerais être aussi belle et douce. J’admire la patience que prennent les pins à pousser. Je guette l’ours que je ne rencontre jamais. Je salue la grenouille au moment où elle « flocque » dans la mare.
Tout cela ne sont, je le sais bien, que d’incomplètes traversées, de pesants survols, qui offrent néanmoins un espace de rêveries et dégagent un vide dans l’encombrement de l’esprit.
Pour rien. Pour la bonté. Pour plus encore. Pourpour ; comme la fanfare !