UNE ESTHÉTIQUE DE LA BONTÉ

Chroniques de libres pensées créées à partir d'une citation d'auteur
par Dyane Raymond

mercredi 3 octobre 2012


« C’est seulement lorsque nous nous sommes rendu compte, à chaque fois, que le tout et la perfection n’existent pas, que nous avons la possibilité de continuer à vivre. » Thomas Bernhard



Où va la vie quand elle sombre ?
Se pencher pour ramasser des miettes ; c’est aussi ça l’écriture, un espace vide à travers lequel du temps passe.
Une fois rendu au sommet de la montagne, on voit un grand brouillard. Parfois un filet de lumière. Du frêle. De la musique.
Écrire crée un passage qu’aucune douleur ne peut refermer. À chaque fois, on parie sur l’impossible et du possible se produit.
Parfois l’impression que le réel s’enfuit, qu’il nous abandonne à notre passivité, à notre mémoire creuse qui n’apporte rien de nouveau, nous renvoie à notre pauvreté.
Sans autorité et sans jugement, nous ne sommes que les témoins, les superstes des Latins. Il manque néanmoins quelque chose. L’atteinte. La nudité.
Il reste encore la bonté. Une disponibilité. Un recevoir.
La lumière tiède du réconfort.
L’inquiétude est parfois envahissante. Une intranquilité paradoxale qui force à abandonner, à lâcher prise pour ne pas sombrer dans la peur, dans le non-amour. À garder encore vivante à l’esprit l’idée de la bonté, ce cri qui enfle depuis l’enfance et qui parfois se disperse en particules dans l’écriture.
Écrire c’est aussi porter en soi un témoignage, être survivant d’une destruction. Pas d’un anéantissement. Un artiste, à l’intérieur d’un espace vide, renverse ses limites vers celles d’un possible, établit de cette façon sa relation avec l’autre. Entre la vérité et l’exactitude, il y a cette dérive dans laquelle les mots tentent de transmettre une part de subjectivité qui a vu, entendu, senti. C’est alors que l’exigence de cette transmission devient un acte d’écriture. On n’écrit pas pour l’éternité, mais pour qu’une parole s’inscrive dans un lieu et un moment visités. Et, il est aussi demandé à l’autre une foi qui l’engage. Il doit adhérer à la quête de l’auteur, à son désir. L’écriture ne procède pas d’un geste d’autorité ou de volonté de puissance, elle entraîne, force à parler, aide à aimer. Les mots portent vers ce témoin invisible, et néanmoins présent.
L’exil de soi qu’on doit accomplir pour revenir vers le texte, le vacillement du je jusqu’à la narration du réel, de sa possibilité ne sont jamais garants de rien ; ils sont une exigence, voilà tout. 
L’écrit demeure un inachevé, un chantier ouvert, plein de trous, d’effilochements, comme la mémoire sur laquelle il s’appuie composée d’oublis, de pertes, de distorsions.
L’écrit s’attarde aux instants, aux silences, au furtif, aux témoins muets de la vie élémentaire.

Merci à Sophie Martin pour la photo