« C’est seulement lorsque nous nous sommes rendu compte, à
chaque fois, que le tout et la perfection n’existent pas, que nous avons la
possibilité de continuer à vivre. » Thomas
Bernhard
Où va la vie quand elle sombre ?
Se pencher pour ramasser des miettes
; c’est aussi ça l’écriture, un espace
vide à travers lequel du temps passe.
Une fois rendu au sommet de la montagne, on voit un
grand brouillard. Parfois un filet
de lumière. Du frêle. De la musique.
Écrire crée un passage qu’aucune
douleur ne peut refermer. À chaque
fois, on parie sur l’impossible et du possible se produit.
Parfois l’impression que le réel
s’enfuit, qu’il nous abandonne à notre passivité, à notre mémoire creuse qui
n’apporte rien de nouveau, nous renvoie à notre pauvreté.
Sans autorité et sans jugement,
nous ne sommes que les témoins, les superstes
des Latins. Il manque
néanmoins quelque chose. L’atteinte. La nudité.
Il reste encore la bonté. Une disponibilité. Un recevoir.
La lumière tiède du réconfort.
L’inquiétude est parfois
envahissante. Une intranquilité paradoxale qui force à abandonner, à lâcher
prise pour ne pas sombrer dans la peur, dans le non-amour. À garder encore vivante à l’esprit
l’idée de la bonté, ce cri qui enfle depuis l’enfance et qui parfois se
disperse en particules dans l’écriture.
Écrire c’est aussi porter en soi un
témoignage, être survivant d’une destruction. Pas d’un anéantissement. Un artiste, à l’intérieur d’un espace vide, renverse ses limites
vers celles d’un possible, établit de cette façon sa relation avec l’autre. Entre la vérité et l’exactitude, il y a
cette dérive dans laquelle les mots tentent de transmettre une part de
subjectivité qui a vu, entendu, senti. C’est alors que l’exigence de cette transmission devient un acte
d’écriture. On n’écrit pas pour
l’éternité, mais pour qu’une parole s’inscrive dans un lieu et un moment
visités. Et, il est aussi demandé à l’autre une foi qui l’engage. Il doit adhérer à la quête de
l’auteur, à son désir. L’écriture
ne procède pas d’un geste d’autorité ou de volonté de puissance, elle entraîne,
force à parler, aide à aimer. Les mots portent vers ce témoin
invisible, et néanmoins présent.
L’exil de soi qu’on doit accomplir
pour revenir vers le texte, le
vacillement du je jusqu’à la
narration du réel, de sa possibilité ne sont jamais garants de rien ; ils sont
une exigence, voilà tout.
L’écrit demeure un inachevé, un
chantier ouvert, plein de trous, d’effilochements, comme la mémoire sur
laquelle il s’appuie composée d’oublis, de pertes, de distorsions.
L’écrit s’attarde aux instants, aux
silences, au furtif, aux témoins muets de la vie élémentaire.