« Mais nulle règle universelle ne régit les manifestations de
la parole ou du silence » David Le Breton
L’une des grandes pandémies
contemporaines serait sans doute l’impuissance qu’il y a à exister sans bruit.
Avant de dire, ne devrait-on pas apprendre à se taire. Laisser émerger le
silence. Le silence permet à la
parole de déployer, rythmer, moduler son sens. Socialement, il permet
d’instaurer une distance. Dans un environnement où la parole est au premier
plan, le silencieux se démarque ; trouble, suscite le malaise, brise
l’homogénéité du groupe. La parole devient alors une exigence sociale.
Les rapports entre l’être et le
silence sont multiples : de la mystique religieuse aux échanges
quotidiens, le silence est polymorphe. S’il nous confronte inexorablement à
l’intériorité, il ne se résume pourtant pas à une ascèse personnelle. Il agit
avec force dans nos relations avec autrui, et en cela il possède un sens moral.
À la fois socialement déterminé, puis culturellement déterminant, il s’accorde
à la nature de nos contacts.
Car le silence peut aussi se
présenter comme une oppression, une aliénation. Pensons seulement à la censure,
à la délation qui instaure un climat de suspicion et de méfiance où toute
parole devient dangereuse. L’individu se replie dans le silence,
bâillonné à l’intérieur de lui-même.
Par ailleurs, dans l’urgence de
dire, dans les témoignages par exemple, il arrive aussi qu’on se heurte à la
difficulté voire l’impossibilité d’être entendu. On cherche à conjurer le
silence, mais on ne rencontre que du vide ; face à l’indicible, les mots n’ont
pas de prise.
Silence et parole sont tour à tour
communication et absence de communication. La parole communique quand elle dépasse le silence ; et
inversement, le silence est communication quand il n’y a pas besoin de mots.
Simple, presque simpliste.
En somme, la parole fait partie du
vivant : on naît dans un cri, on grandit avec les mots, puis on vit dans
les bavardages, les tintamarres, les sonnettes d’alarme.
Alors que le silence se rapproche
du sacré. Dans la forêt, la contemplation, la musique vraie, les sentiments qui
nous laissent sans mot.
Tantôt il est comme l’écho d’un
événement plus grand que lui, tantôt un événement en lui-même, une expérience,
un don. C’est le sacré comme
limite entre l’humain et l’impossible ; le sens de la grâce ; le secret.
Photo : Sophie Martin, Orsans |