UNE ESTHÉTIQUE DE LA BONTÉ

Chroniques de libres pensées créées à partir d'une citation d'auteur
par Dyane Raymond

mercredi 25 janvier 2012


 Le langage exclut l’immaculé », Georges Steiner

Il faut sans cesse dire quelque chose. Répondre au téléphone, aux courriels, à une question posée, à un salut... C’est une convention sociale et la briser installe immédiatement un climat de méfiance, d’inquiétude, voire de colère.

Il m’arrive de ne pas savoir quoi répondre, quoi dire. Les gens à la parole « facile » me fascinent ou me troublent.  Et il m’arrive aussi d’être… étonnée, dirais-je, non par le propos, mais par la vacuité des mots entendus.
Est-il vraiment si important d'exprimer tout ce qu’on ressent, pense, propose ? Dire, incontestablement, confirme l’attention que je porte à l’autre. Mais ne bifurque-t-il pas rapidement vers l’attention que je me porte à moi-même ?

Le besoin de s’exprimer et de recevoir une réponse n’impose-t-il pas par ailleurs un sentiment de culpabilité ? Sentiment de culpabilité qui est ressenti de ne pouvoir être à la hauteur des attentes, des désirs, des besoins énoncés.
Ce besoin de s’exprimer et de recevoir une réponse vient renforcer alors mon impuissance à « secourir » l’autre, à trouver les ressources nécessaires pour entendre son appel. Cela peut sembler paradoxal, mais la parole brise une transparence, qui me permet de voir au-delà de moi et d’offrir une vérité.
Il m’arrive de ne pas savoir quoi dire, quoi répondre. Je pense alors que cela peut être interprété comme une distance ou une faiblesse. Ce l’est sans doute parfois. Je ne brille pas en société, ma verve et mes réparties ne sont pas éblouissantes. Et même si ma transparence n’est pas un gage de bonté, je l’appelle néanmoins dans mon silence.

D'autre part, je crois que le langage est distinct de la parole : l’un est poésie et couleurs[1] ; l’autre, accessoire.
 *

Quand tu ne parles pas, j’entends des frémissements, des hésitations ; tes mutismes sont éloquents.
Quand je ne dis rien, je prends quand même la place qui m’est donnée ; j’occupe l’espace amour, sans chercher à le soumettre.
Quand tu ne parles pas, je vois le paysage défiler et la mer immense se dessiner.
Quand je ne dis rien, j’avale de grandes goulées d’air dans les ciels garance des couchants.
Quand tu ne parles pas, je retiens ton souffle rauque contre mon corps pour le préserver des dangers.
Quand je ne dis rien,  je prie.
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[1] Expression empruntée à Priscille Martel et Marcel Lafleur