UNE ESTHÉTIQUE DE LA BONTÉ

Chroniques de libres pensées créées à partir d'une citation d'auteur
par Dyane Raymond

mercredi 22 février 2012


Quel jour vit naître cette douceur ? Un soir peut-être, sur une plage. Mais pas en été. En hiver. Et, semble-t-il, après dîner. », Ismail Kadaré


Ils accostent sur une île déserte, absolument séparés,
Absolument créateurs de cette distance infinie.
L’île est le rêve de l’homme ; la femme, l’esprit de l’île ;
Ils dérivent
Absolument séparés, absolument créateurs
Dans le mouvement de l’île.

Ils répètent le chant des origines
Dans la profondeur immémoriale des recommencements.

Survivants des naissances et des effondrements,
Ils s’offrent la bonté d’un rigoureux amour.




L’image de l’île déserte m’est apparue un jour sur le comptoir d’une librairie sous la forme d’un recueil de textes et entretiens de Gilles Deleuze. J’ai tout de suite été interpellée par celui intitulé Causes et raisons de l'île déserte.  Les mots de ce texte, la succession des idées ressemblent au délire d’un fou. C’est totalement incompréhensible et pourtant dans cette folie, je me retrouve, j’arrive à traduire certaines phrases, à leur donner une forme, qui est peut-être tout aussi délirante, mais que j’entends, que je refaçonne, avec laquelle je « travaille ». L’île déserte de Gilles Deleuze n’a sans doute rien à voir avec celle sur laquelle j’accoste. Tout comme ma réflexion sur la bonté issue, entre autres, de mes lectures du philosophe Emmanuel Lévinas (qui se sont révélées pour moi un choc révélateur et puissant).
Ainsi, je me suis approprié cette figure d’île déserte qui est devenue un état d’esprit à l’intérieur d’un processus de création. Une démarche solitaire, fragile, soutenue par sa nécessité. Elle n’apparaît pas dans le texte en tant que matériau, pas plus qu’elle n’est un moyen menant à une finalité.  Elle est un mouvement qui déterminera la forme, le caractère du texte, et qui existe de manière souterraine, par elle.  La nécessité de l’île déserte en tant que concept appartient à l’objet, à sa composition ; en ce sens, elle n’existe pas comme une matière prête à émerger, une technique à mettre en pratique. L’île déserte restera abstraite dans le temps et dans l’espace.
Un temps et espace qui ne sont pas linéaires.  Ils n’arrivent pas l’un après l’autre, partant d’un début pour atteindre une fin ; ils se recoupent, retournent en arrière, piétinent, avancent.
Une approche vers elle exige un renoncement, une résignation à la perte, un lâcher prise : l’ouverture et non plus la résistance et l’épuisement des forces. 
De l’invisible. 
Dans la tension, la concentration.
L’île déserte est un espace où un vide peut prendre place. Un état accompagné et soutenu par la bonté. Un lieu, comme dirait mon amie Renelle, où je me sens utile.