« […] (tant que nous vivons
orphelins mais créateurs, créateurs, mais abandonnés…). » Julia Kristeva
Longtemps, l'écriture ne m'a intéressée que sous une forme romanesque, une linéarité construite avec force,
comme un mur. Et c’est lorsqu’il m’a fallu abattre ce mur, me pencher pour en
recueillir les débris, les miettes, que j’ai senti que s’effectuait pour moi un travail
d’écriture formel dans lequel les éclats, les brisures forment un
enchevêtrement, un désordre, une cohérence. Une bonté violente et forte où il y
a de la place pour du moi et de l’autre : une transmutation de moi vers
l’autre.
Les mots ne sont pas des signes
muets, ils parlent de dépossession et de la perte qu’ils supportent. Un
tableau, un texte, une musique ne peuvent atteindre que s’ils sont exacts.
Dans ce lent et très long processus de dépossession de soi, pour forger une
pensée critique et intime, la structure du texte devient sa posture et son
engagement, l’atelier réel de l’écrivain.
Je plante mes mains dans la terre.
Elle s’incruste sous mes ongles, assèche mes mains, macule ma robe. Ce que je
sème est minuscule et malgré l’effort, je ne suis jamais assurée qu’il y aura
une éclosion. Ça signifie que j’œuvre dans le doute, loin de toute exubérance.
Je tiens parole, mais je ne fais
pas de promesse. La réalité dans laquelle j’écris est fragile, cherche à tout
moment à se dérober. Les mots des autres constituent le moteur de mon agir
créateur qui commence dans le silence, la lenteur, l’ombre. Mon écriture est
imparfaite, mouvante ; elle me ressemble.
Je termine un texte pour le
destiner à l’autre, mais ne le finis pas, il restera imparfait, dû. Je
ramasse tout ce que je trouve, des
trésors dans les ruelles, des mots sur des bouches que je ne goûterai jamais.
La pureté de mes intentions n’est
pas limpide. Je ne sais qu’être fidèle et sincère. Lorsque j’écris un monstre
grogne, l’angoisse de devoir me mesurer à lui me fait sortir de l’épure, je ne
respecte plus ni plan ni règle. J’abandonne la bataille, je perds la guerre.
Mon corps flotte dans l’apesanteur de la mort : objet, matière, désir
entravent son passage. La lenteur circule en moi et me garde en éveil. Je n’ai
que cette lumière pour me guider, une lueur sur la ligne des pages écrites. Le
temps happé n’a plus de fin et l’espace à voir est celui de la musique quand je
la traverse enfin. Je ne m’enfuis pas, je fais face à mon ignorance. Les
ratures et les effacements sont une part importante du texte inachevé, ils le
divisent et l’unifient.
Je m’exalte. Je m’endors.