UNE ESTHÉTIQUE DE LA BONTÉ

Chroniques de libres pensées créées à partir d'une citation d'auteur
par Dyane Raymond

mercredi 24 octobre 2012


« […] (tant que nous vivons orphelins mais créateurs, créateurs, mais abandonnés…). » Julia Kristeva

Longtemps, l'écriture ne m'a intéressée que sous une forme romanesque, une linéarité construite avec force, comme un mur. Et c’est lorsqu’il m’a fallu abattre ce mur, me pencher pour en recueillir les débris, les miettes, que j’ai senti que s’effectuait pour moi un travail d’écriture formel dans lequel les éclats, les brisures forment un enchevêtrement, un désordre, une cohérence. Une bonté violente et forte où il y a de la place pour du moi et de l’autre : une transmutation de moi vers l’autre.

Les mots ne sont pas des signes muets, ils parlent de dépossession et de la perte qu’ils supportent. Un tableau, un texte, une musique ne peuvent atteindre que s’ils sont exacts. Dans ce lent et très long processus de dépossession de soi, pour forger une pensée critique et intime, la structure du texte devient sa posture et son engagement, l’atelier réel de l’écrivain.

Je plante mes mains dans la terre. Elle s’incruste sous mes ongles, assèche mes mains, macule ma robe. Ce que je sème est minuscule et malgré l’effort, je ne suis jamais assurée qu’il y aura une éclosion. Ça signifie que j’œuvre dans le doute, loin de toute exubérance.
Je tiens parole, mais je ne fais pas de promesse. La réalité dans laquelle j’écris est fragile, cherche à tout moment à se dérober. Les mots des autres constituent le moteur de mon agir créateur qui commence dans le silence, la lenteur, l’ombre. Mon écriture est imparfaite, mouvante ; elle me ressemble.

Je résiste rarement aux tentations, et les risques que j’accepte de courir ne m’empêchent ni d’avoir peur ni d’avancer.  Je ne connais pas de certitude. Même quand j’ai l’air de.

Je termine un texte pour le destiner à l’autre, mais ne le finis pas, il restera imparfait, dû. Je ramasse tout ce que je trouve,  des trésors dans les ruelles, des mots sur des bouches que je ne goûterai jamais.
La pureté de mes intentions n’est pas limpide. Je ne sais qu’être fidèle et sincère. Lorsque j’écris un monstre grogne, l’angoisse de devoir me mesurer à lui me fait sortir de l’épure, je ne respecte plus ni plan ni règle. J’abandonne la bataille, je perds la guerre. Mon corps flotte dans l’apesanteur de la mort : objet, matière, désir entravent son passage. La lenteur circule en moi et me garde en éveil. Je n’ai que cette lumière pour me guider, une lueur sur la ligne des pages écrites. Le temps happé n’a plus de fin et l’espace à voir est celui de la musique quand je la traverse enfin. Je ne m’enfuis pas, je fais face à mon ignorance. Les ratures et les effacements sont une part importante du texte inachevé, ils le divisent et l’unifient.
Je m’exalte. Je m’endors.