UNE ESTHÉTIQUE DE LA BONTÉ

Chroniques de libres pensées créées à partir d'une citation d'auteur
par Dyane Raymond

mercredi 16 mai 2012


« Soyons exacts jusqu’à la douleur. » Jacques Drillon

À celles, ceux qui sont là. 
Longtemps, mon signe de ponctuation préféré a été le point d’exclamation. Pour son expression d’émotions. Il complétait même ma signature. Maintenant, j’opte davantage pour les points de suspension. En latin, suspensio : action de tirer vers le haut. Ils expriment un sous-entendu, une latence, quelque chose qui plane, qui est dans l’air, qui n’est pas dit. Pas encore, pas maintenant. Ils interrompent une énumération lorsque la liste est trop longue ou s’étire inutilement. On est indécis, on hésite, on reste poli, on se tait, on laisse l’autre imaginer...

Dans tous les cas, on n’aura pas pris les devants avec ses gros sabots, on n’aura pas saoulé son auditoire, on n’aura pas proféré de grossièretés que les autres pourraient regretter à notre place. Car la liberté d’expression, si chère à nos chers concitoyens avec leurs lignes ouvertes et leurs déblatérations autour d’une bière, a trop souvent le goût âcre de l’obstination, de débats vains et vides ou de confrontations où chacun ne se parle qu’à lui-même, le plus souvent. Il importe peu d’avoir tort ou raison, mais de parler avec son cœur, oui. De le laisser parler. Parce que la plupart du temps, c’est le pouvoir, l’inconscience ou l’ignorance qui accaparent l’auditoire, qui déclament contre ceci cela, qui invectivent. Et c’est ainsi que nous élisons des gouvernements de droite qui piétinent la bonté, que nous laissons la voie libre à des profiteurs qui nous soumettent et nous pillent, que nous permettons des destructions planétaires irréversibles. C’est comme ça que des mots d’amour ne trouvent plus de place pour s’exprimer, ne savent plus comment le faire, quoi dire. Que des mots de prière perdent le sens du sacré, remplacés par de l’arithmétique. Que des mots de lutte et de conviction se diluent dans un flot de courriels qui donnent, virtuellement, bonne conscience.

L’expression parler pour parler m’horripile.  Les mots ne sont pas des grains de sable s’agitant d’un déversoir à l’autre. Ce sont des choses graves, qui remettent notre vie en question. Nous ne sommes pas, loin s’en faut, otages de dictateurs, prisonniers de tortionnaires, alors pourquoi nous retrouvons-nous, le plus souvent, muselés en une masse compacte et indolente ? Nous sommes responsables de nos gâchis et devons assumer le poids de nos ignorances. Nos espaces vitaux sont encombrés voire envahis de mensonges éhontés, d’inepties, de faussetés. Des musaks. 
À cela, je veux opposer d’autres mots, ceux des poètes et des musiciens ; ceux des voix qui s’élèvent contre la bêtise ; ceux des timides qui trouvent le courage de ; ceux des doux qui surmontent la nausée ; ceux des tristes qui réussissent à s’extirper du trou noir ; ceux qui posent leur âme sur un bout de bois, de pierre ou de métal et produisent de la Beauté.


Parfois j’imagine que j’aurais pu vivre à une autre époque, peut-être aurai-je choisi alors la vie monastique, recluse, et le vœu de silence…