UNE ESTHÉTIQUE DE LA BONTÉ

Chroniques de libres pensées créées à partir d'une citation d'auteur
par Dyane Raymond

mercredi 4 avril 2012

Le terme de poésie, qui s’applique aux formes les moins dégradées, les moins intellectualisées, de l’expression d’un état de perte, peut être considéré comme synonyme de dépense : il signifie, en effet, de la façon la plus précise, création au moyen de la perte. » Georges Bataille


Pour Danielle P. R.
Je considère la poésie comme une forme à part de la création littéraire. Sa densité, son intensité et même son opacité parfois font de cette écriture une chose sacrée, au sens où elle est donnée et reçue dans un état d’engagement et de foi.
On entre dans un poème, avec lenteur, recueilli.
Et on n’en atteindra jamais l’essence sans don de soi. Sans respect.
On pourrait aussi y juxtaposer un esprit de sacrifice au sens où le renoncement participe au caractère sacré du poème.
Renoncement à la facilité. À l’accumulation. À l’inattention.
Le poème ne tolère ni fausse ou demi-vérité. Il n’est pas un lieu d’apitoiement mais de révolte. Pas un lieu d’épanchement mais d’amour — cette chose nécessaire et encombrante. L’espace du poème en est un de dépossession, d’abandon, de doute et de joie désespérée. C’est la raison pour laquelle il y est aussi question de bonté.



Cependant un tel acte de foi est constamment ébranlé par les objets mêmes qui l’inspirent, d’où l’effraction — effringere, détruire, briser — rompre le pacte de bonté ; enfreindre les règles, c’est ce que fait l’art quand il ne s’égare pas dans le divertissement.
Ce rapport au perdu est en effet inéluctable dans tout processus de création. La mort, l’éteint, l’obscur hantent le travail, la construction d’une œuvre.

La poésie est musique. La musique est poésie. Une présence : mon pied froissant la feuille sèche dans le sentier dont le bruissement provoque la fuite du chevreuil. Il ne s’agit plus d’une virtuosité de paroles, mais de l’espace sacré dans laquelle cette chose se déroule. Et ça, c’est important pour que l’expérience devienne ce par quoi je suis atteinte.

Des chansons ponctuées de cris, de grognements, de bruits. Un espace poétique où l’on peut briser certaines conventions et, à partir de ces fractures, ne se raccrocher à rien qu’au déséquilibre.
Rupture, cassure.
Traverser un espace vide, c’est ce que fait l’esprit, c’est ce que fait la pensée. Opérer un renversement et trouver ce qu’il y a en nous au fond de chaque respiration.
La musique incarne l’émotion et l’inquiétude issues de la pensée, de la violence avec laquelle celle-ci déchire le vide.
Devant la musique, devant le poème, s’installe un trouble plus ou moins diffus, par lequel je reconnais ma présence à l’intérieur de ce réel, un mouvement dans l’espace vide de la création.