« Non in-différence et bonté de la responsabilité, elles ne
sont pas neutres, entre amour et hostilité. Il faut les penser à partir de la
rencontre où vœu de paix — où
bonté — est le premier langage. » Emmanuel
Lévinas
Une adresse à l’autre rend bien sûr
l’artiste responsable du don qu’il conçoit. Responsabilité qui se pose comme une expérience singulière
et irremplaçable ; non comme l’expression d’un pouvoir, mais comme celle d’un dépouillement,
d’un abandon, d’une destruction. C’est pourquoi on ne peut pas
parler de pureté ou d’excellence en ce qui concerne cette expression, ce don, qui deviendrait alors
une sorte de démesure de la bonté. Laquelle tire son origine d’une ouverture,
d’un échange, d’une réponse qui rend compte du besoin que l’on éprouve de l’autre et
de sa réciprocité.
L’expérience
artistique révèle une part de l’artiste à lui-même et lui évite, s’il s’y
abandonne, de restreindre le processus créateur à un banal exercice narcissique
et l’objet de création à un rapport symétrique avec l’autre. L’artiste, au sein du processus
créateur, est concerné par une altérité qui le constitue, mais aussi qui
l’engage. Sa responsabilité face à
l’autre est instituée dans le temps et n’a pas de commencement ni de fin, mais
une origine et un avenir vis-à-vis d’autrui. L’œuvre est en mouvement entre un passé et un avenir formant ainsi un temps ouvert qui ne se referme
pas sur lui-même, mais crée un élan de répétition, et donc d’inachèvement. Dans le processus de création, la
responsabilité de l’artiste est liée à l’agir et à l’œuvre. Il en répond, consciemment, en ayant
atteint une autonomie issue d’un lent processus de dépassement. Processus dans lequel l’artiste advient
à lui-même et ce faisant ouvre vers le possible de l’œuvre ; et où sa
subjectivité, même fragilisée, réussit à éviter l’arrêté du désespoir. S'opère ainsi une réconciliation de l’artiste avec
lui-même qui dépasse les résistances et le mutisme. La responsabilité du don peut alors se transférer à l’autre
qui a la possibilité, le pouvoir de répondre, de prendre la parole et de faire
exister l’œuvre au sein de la rencontre, dans un ailleurs, un temps et un espace autres.
Les étapes de ce processus, comme
des lignes de traverse, sont marquées par différents mouvements — responsabilité, désir, don — qui animent le créateur au sein de sa
composition, pendant l’exécution de son travail et ensuite dans la
communication de celui-ci.
L’artiste, l’œuvre et la personne qui la
reçoit ont en commun, une sensibilité, une ouverture, une attention particulière
portée au Vivant, à cette part de l’être qui tend vers la bonté. Interagissent
ensuite la conscience, la jouissance, la fêlure et la responsabilité de chacun à
l’intérieur et à travers cette œuvre.