UNE ESTHÉTIQUE DE LA BONTÉ

Chroniques de libres pensées créées à partir d'une citation d'auteur
par Dyane Raymond

mercredi 12 septembre 2012


« Non in-différence et bonté de la responsabilité, elles ne sont pas neutres, entre amour et hostilité. Il faut les penser à partir de la rencontre où vœu de paix — où bonté — est le premier langage. » Emmanuel Lévinas

Une adresse à l’autre rend bien sûr l’artiste responsable du don qu’il conçoit.  Responsabilité qui se pose comme une expérience singulière et irremplaçable ; non comme l’expression d’un pouvoir, mais comme celle d’un dépouillement, d’un abandon, d’une destruction. C’est pourquoi on ne peut pas parler de pureté ou d’excellence en ce qui concerne cette expression, ce don, qui deviendrait alors une sorte de démesure de la bonté. Laquelle tire son origine d’une ouverture, d’un échange, d’une réponse qui rend compte du besoin que l’on éprouve de l’autre et de sa réciprocité.

L’expérience artistique révèle une part de l’artiste à lui-même et lui évite, s’il s’y abandonne, de restreindre le processus créateur à un banal exercice narcissique et l’objet de création à un rapport symétrique avec l’autre. L’artiste, au sein du processus créateur, est concerné par une altérité qui le constitue, mais aussi qui l’engage. Sa responsabilité face à l’autre est instituée dans le temps et n’a pas de commencement ni de fin, mais une origine et un avenir vis-à-vis d’autrui. L’œuvre est en mouvement entre un passé et un avenir formant ainsi un temps ouvert qui ne se referme pas sur lui-même, mais crée un élan de répétition, et donc d’inachèvement. Dans le processus de création, la responsabilité de l’artiste est liée à l’agir et à l’œuvre. Il en répond, consciemment, en ayant atteint une autonomie issue d’un lent processus de dépassement. Processus dans lequel l’artiste advient à lui-même et ce faisant ouvre vers le possible de l’œuvre ; et où sa subjectivité, même fragilisée, réussit à éviter l’arrêté du désespoir.  S'opère ainsi une réconciliation de l’artiste avec lui-même qui dépasse les résistances et le mutisme. La responsabilité du don peut alors se transférer à l’autre qui a la possibilité, le pouvoir de répondre, de prendre la parole et de faire exister l’œuvre au sein de la rencontre, dans un ailleurs, un temps et un espace autres.
La terrasse à Orsans. Merci à Sophie Martin pour la photo.

Les étapes de ce processus, comme des lignes de traverse, sont marquées par différents mouvements   — responsabilité, désir, don —  qui animent le créateur au sein de sa composition, pendant l’exécution de son travail et ensuite dans la communication de celui-ci.
L’artiste, l’œuvre et la personne qui la reçoit ont en commun, une sensibilité, une ouverture, une attention particulière portée au Vivant, à cette part de l’être qui tend vers la bonté. Interagissent ensuite la conscience, la jouissance, la fêlure et la responsabilité de chacun à l’intérieur et à travers cette œuvre.