« Présence figurée et rappel de l’absence. Le visage de
l’autre, par la fascination du regard qui s’y pose, se transforme en vision. » Philippe Grapeloup-Roche
Le visage possède un langage
propre ; le visage de l’autre construit ma pensée en établissant entre cet
autre et moi une dimension éthique qui ne se limite pas à ma seule lecture,
mais à la responsabilité qui me lie à lui quand, sur ce visage, je reconnais
mes failles, mes limites, ma vérité sans pouvoir m’y soustraire.
Le philosophe Emmanuel Levinas
parle du « sérieux sévère de la bonté » pour
décrire la responsabilité qui me lie à autrui. Deux qualificatifs qui revêtent
désormais pour moi le sens que je cherche à donner à la bonté. Sérieux, il ne saurait en être
autrement bien sûr, non pour son côté austère, mais attentif ; et
sévère, là où il n'est pas question d'autorité ou de rigidité, mais plutôt de gravité et d'exigence. Dans la bonté, en somme,
serait incluse la part obscure du texte, sa responsabilité, singulière et
irremplaçable.
Ainsi, partant de soi, de sa
faim, offrant sa nudité, sa fragilité, sa vulnérabilité, l'artiste, entre autres, dans une démarche de création, ne tente-t-il pas
l'impossible : une adresse qui rejoint l'autre dans une relation pure, de
vérité et de transparence ? L’écrit, par exemple, quoique porté vers l’autre, passe et
repasse par soi dans le travail avant de se tourner vers l’extérieur, et c’est
cette activité intime et transversale qui agit sur le matériau et le
transforme. Par cette présence alternative, l'artiste renonce progressivement à
son quant-à-soi et dans ce renoncement interviennent son imaginaire et
sa bonté. C'est à l'intérieur d'un tel processus que l'autre
devient peu à peu une partie déterminante de son discours. S'établit alors une relation qui
appelle à une responsabilité, une éthique, dans un rapport auratique, c'est-à-dire à la fois de
proximité et d'éloignement vis-à-vis de cet autre.
Ainsi, l'autre prend forme dans le texte par mon approche vers
lui ; et celle-ci induit alors l'essentiel retour par lequel la bonté
est ramenée vers soi. La faiblesse et la nudité du moi faisant face à
l'incessante demande de reconnaissance de l'autre, un moi autre se découvre, orienté non plus vers son insuffisance, mais vers
un au-delà du désir.
Un échange d'où, au mieux,
personne ne sort indemne, et où chacun donc, par son expérience, acquiert
une part plus grande de liberté.