UNE ESTHÉTIQUE DE LA BONTÉ

Chroniques de libres pensées créées à partir d'une citation d'auteur
par Dyane Raymond

mercredi 30 mai 2012


« Présence figurée et rappel de l’absence. Le visage de l’autre, par la fascination du regard qui s’y pose, se transforme en vision. » Philippe Grapeloup-Roche

Pour Patricia 
Le visage possède un langage propre ; le visage de l’autre construit ma pensée en établissant entre cet autre et moi une dimension éthique qui ne se limite pas à ma seule lecture, mais à la responsabilité qui me lie à lui quand, sur ce visage, je reconnais mes failles, mes limites, ma vérité sans pouvoir m’y soustraire.
Le philosophe Emmanuel Levinas parle du « sérieux sévère de la bonté » pour décrire la responsabilité qui me lie à autrui. Deux qualificatifs qui revêtent désormais pour moi le sens que je cherche à donner à la bonté. Sérieux, il ne saurait en être autrement bien sûr, non pour son côté austère, mais attentif ; et sévère, là où il n'est pas question d'autorité ou de rigidité, mais plutôt de gravité et d'exigence. Dans la bonté, en somme, serait incluse la part obscure du texte, sa responsabilité, singulière et irremplaçable.

Ainsi, partant de soi, de sa faim, offrant sa nudité, sa fragilité, sa vulnérabilité, l'artiste, entre autres, dans une démarche de création, ne tente-t-il pas l'impossible : une adresse qui rejoint l'autre dans une relation pure, de vérité et de transparence ? L’écrit, par exemple, quoique porté vers l’autre, passe et repasse par soi dans le travail avant de se tourner vers l’extérieur, et c’est cette activité intime et transversale qui agit sur le matériau et le transforme. Par cette présence alternative, l'artiste renonce progressivement à son quant-à-soi et dans ce renoncement interviennent son imaginaire et sa bonté. C'est à l'intérieur d'un tel processus que l'autre devient peu à peu une partie déterminante de son discours. S'établit alors une relation qui appelle à une responsabilité, une éthique, dans un rapport auratique, c'est-à-dire à la fois de proximité et d'éloignement vis-à-vis de cet autre.
Ainsi, l'autre prend forme dans le texte par mon approche vers lui ; et celle-ci induit alors l'essentiel retour par lequel la bonté est ramenée vers soi. La faiblesse et la nudité du moi faisant face à l'incessante demande de reconnaissance de l'autre, un moi autre se découvre, orienté non plus vers son insuffisance, mais vers un au-delà du désir.

Un échange d'où, au mieux, personne ne sort indemne, et où chacun donc, par son expérience, acquiert une part plus grande de liberté.