« Il est étrange d'être dans un
corps, enfermé ; c'est une crucifixion pour chacun. » Valère Novarina
Corps mutant, corps fractionné,
corps vieillissant.
La naissance, l’enfance,
l’adolescence, les différentes étapes de la vie adulte ; tout cela appartient à
une seule existence, une même personne, et se déroule sur une même ligne
temporelle. Mais à combien de vies correspondent réellement tous ces corps ? C’est
un peu comme si des êtres différents s’y insinuaient et les habitaient selon les
différentes lignes des âges, opérant ainsi leur transmigration successive. C'est ainsi que le corps de la jeunesse est beau, ferme, éternel ; puis un jour il est
devenu flasque, malade et sénile. Toutes ces entités ayant appartenu au passé. Étant devenues celles de maintenant. Puis s'étant incarnées dans celles qui seront enterrées.
Il est question de la vie. La vie
plus forte que tout. La vie dans sa toute puissante autocratie qui force les humains que nous sommes à vouloir, quel qu'en soit le prix, retarder
jusqu'à l'ultime limite l'heure de la quitter. Car cet inconnu effraie. Il n'y
aurait que les nouveaux-nés, s'ils pouvaient s'exprimer, pour nous parler du
néant, de cet espace d'avant la vie qu'ils ont traversé. L'espace d'après, pour
sa part, demeurera tout autant inquiétant et mystérieux. C'est ainsi. La vie est à elle seule suffisamment énigmatique pour alimenter, des
millénaires durant, les questionnements et introspections qui la régissent.
Au terme de sa longue mutation, le corps
vieillissant s'empâte, se « difforme ».
Se plisse, se courbe. Se dégarnit, se dessèche. Aucune crème, aucun régime,
aucun exercice ne saurait empêcher cela. Tout au plus en ralentir le cours
inexorable et en atténuer les effets. Notre société moderne et opulente voue un
culte au corps, à la beauté des formes, à la perfection des galbes. Les jeunes filles se cloîtrent dans un enfer anorexique pendant que les jeunes hommes se
gonflent démesurément les muscles à coups de push up et de
protéines synthétiques. Durant ce temps, les cinquantenaires, sexagénaires,
septuagénaires, octogénaires, nonagénaires dégénèrent. Et sont maintenus en vie à coup de
pharmacologie, technologie, médicologie.
Le processus ne s'inversera pas
néanmoins. Je peux demeurer stoïque et feindre l'indifférence ou afficher une
sagesse indulgente, je subirai indubitablement les métamorphoses entamées depuis le jour de ma naissance.
Et je resterai « crucifiée » à
ce corps.