« Avoir le temps ce n’est pas une sensation, c’était la
résolution de toutes les sensations contradictoires. » Peter Handke
L’aporie du temps n'est-elle
qu’un pléonasme ? Si sa
compréhension semble sans issue n’est-ce pas parce que le voyage va dans
d’infinies directions, infiniment, peut-être pas sans but, mais dans un sens
qui ne sert qu’à rouler la pierre, qu’à accompagner Sisyphe dans son
effort ?
Quelque chose s’introduit dans
l'esprit. Un
changement ? Un sensible
capable de retenir l’apparition, l’ébranlement ? Une forme se constitue, se défait à l’intérieur d’un temps
asymétrique provenant de l’imaginaire, la mémoire, la pensée. Mouvement d’évocation et de réflexion.
Temps actifs créés par l’hiatus.
Temps à la fois engagé et
dégagé. Une sorte de dérive,
peut-être vers ce lieu de l’ile déserte comme un monde rêvé où soi et le temps
revêtiraient une même identité. Il
n’y aurait plus alors de néant, ni avant ni après, mais une fluidité, un simple
transfert de sens entre la Nature et la pensée.
Temps immatériel et pourtant
concret, à l’intérieur duquel les impossibles deviennent possibles grâce à la
foi et à la détermination. Les imperceptibles battements de la vie quotidienne ponctuent solitudes et rencontres, conscience et idéalisation.
Temps de solitude, temps sacralisé par la danse, la
transe, la contemplation, le défoulement, — l’élégance avant toute chose.
Temps de nudité, de survie, de
renoncement. Sur l’île déserte, on est protégé
de l’envahissement du réel par l’imaginaire ; aucun bateau n’accostera, on ne
sera pas sauvé, on n’arrêtera pas le temps : il changera. Sera destin et
travail, amour et obscurité, pertes et recommencement, et
recommencement, et recommencement.
Je navigue dans cette direction, l’île déserte. Je l'aperçois au loin, entourée
d'écueils, pratiquement inaccessible, d'autres fois, elle disparaît derrière
l'horizon, comme si elle n'avait jamais existé et n'était que le mirage d’un
esprit enfiévré. D’autres fois, je m'en approche de si près que j’en touche presque
les côtes, avant que la vague ne me rejette vers l'infini... Certains jours, sans rien faire, j'y suis et m'y promène sans entrave ; seule et libre. Ce n’est jamais, bien sûr, un état
permanent, l’île, il faut la re-créer, l'imaginer, en redessiner les courbes,
l'effacer sur les cartes, s'y redéposer, s'y oublier.
Par ailleurs, dans le mouvement
processuel d’un projet d’écriture, de création, le Je est entraîné par un courant dans lequel le présent empiète sur
le passé et l’avenir, dans lequel l’œuvre du temps est sans fond, dans lequel
je ne change pas seulement d’humeur ou d’état d’esprit, mais deviens, dans ce
mouvement paradoxal, une autre, inconnue, qui re-naît dans la matière.
Mouvement auratique vers et dans l'île déserte.
Un sanctuaire au bord de l’eau où,
recueillie, je murmure enfin ma prière.