UNE ESTHÉTIQUE DE LA BONTÉ

Chroniques de libres pensées créées à partir d'une citation d'auteur
par Dyane Raymond

mercredi 23 mai 2012


« Avoir le temps ce n’est pas une sensation, c’était la résolution de toutes les sensations contradictoires. » Peter Handke

Pour Paul
L’aporie du temps n'est-elle qu’un pléonasme ? Si sa compréhension semble sans issue n’est-ce pas parce que le voyage va dans d’infinies directions, infiniment, peut-être pas sans but, mais dans un sens qui ne sert qu’à rouler la pierre, qu’à accompagner Sisyphe dans son effort ?




Quelque chose s’introduit dans l'esprit. Un changement ? Un sensible capable de retenir l’apparition, l’ébranlement ? Une forme se constitue, se défait à l’intérieur d’un temps asymétrique provenant de l’imaginaire, la mémoire, la pensée. Mouvement d’évocation et de réflexion. Temps actifs créés par l’hiatus.
Temps à la fois engagé et dégagé. Une sorte de dérive, peut-être vers ce lieu de l’ile déserte comme un monde rêvé où soi et le temps revêtiraient une même identité. Il n’y aurait plus alors de néant, ni avant ni après, mais une fluidité, un simple transfert de sens entre la Nature et la pensée. 
Temps immatériel et pourtant concret, à l’intérieur duquel les impossibles deviennent possibles grâce à la foi et à la détermination. Les imperceptibles battements de la vie quotidienne ponctuent solitudes et rencontres, conscience et idéalisation. 
Temps de solitude, temps sacralisé par la danse, la transe, la contemplation, le défoulement, — l’élégance avant toute chose.
Temps de nudité, de survie, de renoncement. Sur l’île déserte, on est protégé de l’envahissement du réel par l’imaginaire ; aucun bateau n’accostera, on ne sera pas sauvé, on n’arrêtera pas le temps : il changera. Sera destin et travail, amour et obscurité, pertes et recommencement, et recommencement, et recommencement.
Je navigue dans cette  direction, l’île déserte. Je l'aperçois au loin, entourée d'écueils, pratiquement inaccessible, d'autres fois, elle disparaît derrière l'horizon, comme si elle n'avait jamais existé et n'était que le mirage d’un esprit enfiévré. D’autres fois, je m'en approche de si près que j’en touche presque les côtes, avant que la vague ne me rejette vers l'infini... Certains jours, sans rien faire, j'y suis et m'y promène sans entrave ; seule et libre. Ce n’est jamais, bien sûr, un état permanent, l’île, il faut la re-créer, l'imaginer, en redessiner les courbes, l'effacer sur les cartes, s'y redéposer, s'y oublier.
Par ailleurs, dans le mouvement processuel d’un projet d’écriture, de création, le Je est entraîné par un courant dans lequel le présent empiète sur le passé et l’avenir, dans lequel l’œuvre du temps est sans fond, dans lequel je ne change pas seulement d’humeur ou d’état d’esprit, mais deviens, dans ce mouvement paradoxal, une autre, inconnue, qui re-naît dans la matière. 
Mouvement auratique vers et dans l'île déserte.

Un sanctuaire au bord de l’eau où, recueillie, je murmure enfin ma prière.