UNE ESTHÉTIQUE DE LA BONTÉ

Chroniques de libres pensées créées à partir d'une citation d'auteur
par Dyane Raymond

mercredi 21 décembre 2011

« Il y a des anges dans les champs, dans tous les champs, et partout ailleurs, je présume. Ce que tout cela signifie sur la perception, le langage, les anges ou ma propre santé mentale, je n'en ai aucune idée. » Annie Dillard

Le jeune homme m'observait du coin de l'œil, je lisais son texte, autant dire que je tenais sa vie entre mes mains. C'est pourquoi je m'obligeais à être pleine d'égards : pas une virgule, pas un mot n'échapperait à mon attention. Il était question de son frère, d'un accident dramatique, d'une fin miraculeusement heureuse. C'était un moment de vie, une expression, un abandon ; c'était un devoir scolaire. Dans les productions écrites de la plupart des étudiants que je côtoie à l'éducation des adultes, il n'existe pas de recul entre ce qui est vécu et ce qui est exprimé. Les écrivains se défendent de cela : un texte littéraire doit passer par le prisme du détachement, d’un travail d’écriture. Cela est incontestable. Mais dans les textes de ces étudiants, cet espace n'existe pas, on y retrouve une sincérité brute. Les mots et les phrases possédant une valeur principalement cathartique.
Une autre fois, une jeune femme refusa catégoriquement de rédiger son travail parce qu'elle ne voulait pas dévoiler sa vie : « C'est pas de vos affaires, madame ! » 
Sa brutalité m'a ramenée à mon voyeurisme. Le même, dont je me délectais lorsque je m'attardais de longues secondes, le soir en marchant dans les rues, devant les fenêtres éclairées des salons, cuisines, chambres, sur les trottoirs longeant les maisons du Plateau Mont-Royal. J'adorais faire ça : voir un monsieur en pyjama manger des chips devant la télé étendu sur son lasy-boy, voir la madame flatter son chihuahua sur le couvre-pied en satinette, voir les enfants laper leur soupe sur la table recouverte d'une nappe cirée décorée de bateaux à voiles. On peut considérer cela comme du voyeurisme, mais c'était surtout pour moi des moments de lecture, des instants où j'oscillais entre le dedans de moi et le dedans de l'autre, comme lorsqu'on ouvre un roman. Et c'est ce que j'aime tant dans les textes de ces élèves : cette permission accordée,  un peu forcée sans doute, de pénétrer dans leur monde, de m'attarder, comme dans mes balades montréalaises, à la frontière de l'intime. 
Et de voir des anges.