UNE ESTHÉTIQUE DE LA BONTÉ

Chroniques de libres pensées créées à partir d'une citation d'auteur
par Dyane Raymond

mercredi 29 février 2012


« Les passages sont comme des maisons ou des corridors qui n'ont pas de côté extérieur — comme le rêve. » Walter Benjamin

Ces passages étudiés par Walter Benjamin dans son Paris, capitale du XIXe siècle sont des espaces particuliers qui permettent de passer d'un segment de rue à un autre par des galeries, abritées des bruits et de l'agitation des trottoirs qui les enserrent. Il y aura consacré une œuvre entière — magistrale. Il aura regardé cette ville avec une acuité et une intelligence auratiques, capable de capter « l'apparition d'un lointain, quelque proche que puisse être ce qui l'évoque ».

Un matin, la neige. Un air du temps anxieux, frémissant sous l'agitation du vent. L'eau trouble et glaciale. Et derrière le paravent que forme le paysage, une faible lueur se dessine, à peine perceptible. Elle vrombit pourtant sourdement comme les moteurs d'un avion au décollage. Je ne l'entends pas. Invisible et inaudible, pas imperceptible pour autant, insaisissable encore.

Aimer. Écrire. Manger. Boire. Découvrir le vaste monde.

J'ai mangé le foie de l'orignal, bu quelques gorgées de bière. Il me reste à raconter ; ce pour quoi je suis là. Ce sera bientôt la fin, il faut donc commencer.

En marchant sur l'étroit sentier dans le bois, les bottes mouillées, lourdes, pleines de boue, chaque particule de terre et d'eau, une ondulation des hanches, des respirs saccadés, les autours. Je hurle, chante, brave la syntaxe, nominalise, néologise. Rendue loin déjà, je traverse le boulevard de Sébastopol, là où jadis je guettais mon amant parisien, dans ce bistrot arabe où nous nous enivrions en buvant des rakis. Il traversait, se faufilant entre les voitures et j'imaginais un capitaine à la barre de son navire sur une mer houleuse. C'était exaltant et douloureux.



Aujourd'hui, j'habite deux maisons, comme s'il me fallait appartenir à tous les espaces qui me sont chers. Et je voudrais aussi être à Paris, n'attendant plus l'amant, mais le chérissant pour ce qu'il m'a donné.

Aujourd'hui, j'enfourche la tempête. Ma monture me sortira de là. Et c'est toi, mon amour, qui m'attendras, tranquille et solitaire, m'accueillant avec une bienveillance un peu distraite. Tu feras cuire des pâtes, je préparerai une salade. Déboucherai une bouteille de gigondas. Tu diras : « Mon petit vin italien ferait aussi bien l'affaire. » Je te répondrai que c'est une grande occasion qui mérite une bonne bouteille. Tu ne demanderas pas ce qu'il y a de spécial ce soir. Tu as appris à me connaître.