UNE ESTHÉTIQUE DE LA BONTÉ

Chroniques de libres pensées créées à partir d'une citation d'auteur
par Dyane Raymond

mercredi 18 janvier 2012


«— Quand ils auront cette chance, que ce jour-là, celui dont on fera le portrait, ce sera nous. », Nathalie Sarraute


Multitude des visages ! L'épiphanie du visage. Elle voulait apprendre à les peindre. Les voir apparaître et révéler une chose qui n'aurait pas été entendue. Devant son chevalet, elle dessinait jour après jour des bouches, des nez, des yeux.  Elle traçait des sillons, des rides, des ombres. Suivait les lignes. Espérant sans y croire qu'elle pourrait tirer du néant quelque chose au plus près de la nudité. Quelquefois il n'y avait presque rien sur le papier, juste de quoi deviner, approcher, apprivoiser… Qu'était-ce donc que cela ? Un portrait ? Si peu fidèle. Une projection ? Si trompeuse. Un reflet ? Si abstrait. Elle ne savait pas d'où lui venait cette nécessité féroce d'y comprendre quelque chose. Il n'y avait pas d'apaisement, une ivresse parfois, éphémère. Elle regardait alors autour d'elle, revenait vers la réalité, mais n'y arrivait jamais complètement non plus. Tant pis. Le visage était là. Elle aimait ce moment où la solitude lui échappait et se perdait dans le geste, ce moment d'amnésie. Il pleuvait. La lumière étale du spot sur le papier. C'était ce qu'il y avait de mieux. Le soleil est comme le nez au milieu de la figure. On ne voit que lui, on en a que pour lui ; les yeux, la bouche, le creux des joues virevoltent, devenus de microscopiques insectes tourmentés par la vague. Rien d'insondable ne se produisait, une minuscule joie pourtant, infime, si petite qu'elle était sans nom. Ridiculement anodine, presque terne, sinon invisible.
Dans l'atelier, une lampe sans abat-jour, une table en désordre, des poussières, une théière vide avec des branches de thym au fond. La porte ouverte, que personne ne franchira. La ville brouille les pistes et une rumeur fracassante enfle jusqu'à la nuit. Le silence l'oppresse, il ne peut en être autrement. Elle a faim. Elle attendra que les odeurs se dissipent, qu'il soit l'heure de ranger les pinceaux dans leurs bocaux de diluant. Elle se lavera longuement les mains, comme un chirurgien, pensera-t-elle en souriant tristement. Puis elle partira, tournera le dos à tout ça parce que tout à coup, elle sera redevenue la femme qu'elle était. La femme errante. Elle demandera l'heure aux passants, pour parler à quelqu'un. Elle pensera revenir. Mais pas tout de suite. Se forcera à marcher jusqu'à la voie ferrée pour tenter de capturer quelque chose, une humeur, qui la porterait comme un voyage. Un train. En voilà une bonne idée, se réjouira-t-elle.