UNE ESTHÉTIQUE DE LA BONTÉ

Chroniques de libres pensées créées à partir d'une citation d'auteur
par Dyane Raymond

mercredi 11 juillet 2012

« Rigoureuses bribes et vestiges souverains. » Georges Didi-Huberman


Pour Albani  
L'âge de la jeunesse ne possède pas encore cette certitude inexorable d'être mortel. On ressent parfois quelques vertiges, quelques démesures nous entraînant dangereusement vers le précipice, mais in extremis quelque chose, une force vitale, nous ramène vers la légèreté, l'insouciance, l'ivresse ; vers cette fallacieuse et délicieuse infinité temporelle dont jouissent pour l’heure notre corps, nos gestes, nos possibles.
Je n'étais pas différente de cela, à une époque, et je me bluffais de surcroît en pensant qu'il ne serait jamais trop tard. Que cette notion de « trop tard » n'avait rien de final ou de définitif et qu'il y aurait toujours quelque retour, quelque chemin de traverse, quelque autre action effaçant l'ombre de la précédente. Et puis un jour, est survenue la mort ; la première, celle qui dominera à jamais toutes les autres. Est arrivée ensuite l'épreuve du désespoir amoureux, la déchirure, celle qui ravagera la joie et l'innocence. Plus tard, s'est ajouté le désenchantement ; le travail impeccable, accompli avec toute son attention et toute son âme, il sera sali, piétiné.

Par et dans ce vécu, l'expérience de la perte s'installe et avec elle, le besoin de créer du vide, un espace, non de reconstruction, mais d'apparition. Bien sûr, il y aura de nombreux après, dans la vie amoureuse, sociale, créatrice ; dans les labeurs, les mouvements et les déplacements qui façonnent la vie ; il y aura de l'amour, de la tendresse, de la sincérité ; il y aura le respir des nuits et des jours.

Ces apparitions issues de la perte sont peut-être la seule réponse que l'on puisse opposer à la destruction : une voie et une voix vers du possible.
Ça existe trop tard ; ça existe ce temps de non-retour et de fuite inutile. Parfois ce n'est qu'un étiolement — la perte semble infime —, mais le résultat est le même : une absence infranchissable. 
L'apparition n'est pas un ersatz, une solution de rechange ; elle ne modifie pas non plus le cours de la douleur.
Elle permet à l'air et au sang de circuler.
Une lumière indicible dans un ciel d'orage et de soleil.
Le silence.
La bonté.