L'âge de la jeunesse ne possède
pas encore cette certitude inexorable d'être mortel. On ressent parfois quelques
vertiges, quelques démesures nous entraînant dangereusement vers le précipice, mais in extremis quelque
chose, une force vitale, nous ramène vers la légèreté, l'insouciance, l'ivresse
; vers cette fallacieuse et délicieuse infinité temporelle dont jouissent pour l’heure notre
corps, nos gestes, nos possibles.
Je n'étais pas différente de cela, à une époque, et je me bluffais de surcroît en pensant qu'il ne serait jamais trop
tard. Que cette notion de « trop tard » n'avait rien de final ou de définitif
et qu'il y aurait toujours quelque retour, quelque chemin de
traverse, quelque autre action effaçant l'ombre de la précédente. Et puis un jour, est survenue la mort ; la première, celle qui dominera à jamais toutes les autres. Est arrivée ensuite l'épreuve du désespoir amoureux, la déchirure, celle qui ravagera la joie et
l'innocence. Plus tard, s'est ajouté le désenchantement ; le travail impeccable, accompli avec toute son attention et toute son âme, il sera sali, piétiné.
Par et dans ce vécu, l'expérience de la
perte s'installe et avec elle, le besoin de créer du vide, un espace, non de
reconstruction, mais d'apparition. Bien sûr, il y aura de nombreux après, dans la vie amoureuse, sociale, créatrice ; dans les labeurs, les mouvements et les déplacements qui façonnent la vie ; il y aura de l'amour, de la tendresse,
de la sincérité ; il y aura le respir des nuits et des jours.
Ces apparitions issues de la perte sont peut-être la seule réponse que l'on puisse opposer à la
destruction : une voie et une voix vers du possible.
Ça existe trop tard ; ça existe ce
temps de non-retour et de fuite inutile. Parfois ce n'est qu'un
étiolement — la perte semble infime —, mais le résultat est le même : une absence infranchissable.
L'apparition n'est pas un ersatz, une solution de rechange ; elle ne modifie pas non plus le cours de la
douleur.
Elle permet à l'air et au sang de circuler.
Elle permet à l'air et au sang de circuler.
Une lumière indicible dans un ciel
d'orage et de soleil.
Le silence.
La bonté.