« L’amour affronte la Mort, lui seul, non pas la vertu, est
plus fort qu’elle. […] La forme, elle aussi, n’est faite que d’amour et de
bonté. » Thomas Mann
Nulle part, et puis là parmi les
hommes, parmi les femmes. Seule. Vide infiniment. Dans un lieu ouvert, intact. L’espace circulaire de
l’atelier. Tout donner. Les immontrables pleurs. Des larmes cendrées qui s’échappent,
sans heurt, tracent des sillons, une voie d’où irradie une lumière. Un état
consolateur des béotismes du quotidien. Un état de prière traversé par un passé imprévisible et un présent
agité, traversé par la faim.
Une parole libre et sauvage ne se
laisse pas toujours approcher facilement. Une parole qui rapproche de la bonté, de la nature, de la
force des choses. N’est-ce pas de cela dont il est question ; allers et retours
entre la disparition et le possible, entre l’éblouissement et l’humilité, entre
la défaite et le recueillement ? De part en part, entre soi et l’autre se
faufile un sens, celui-là même créé par la faille qui existe, pour un temps,
au-delà de la peur. Sans l’autre, je n’aurais peut-être pas peur, et je
n’écrirais pas.
La pensée, la connaissance, l’art
sont dans la nature, dans le mouvement, le vivant. Quand j’écris, je veux entendre le bruissement de l’eau, pister l’animal, caresser la mousse sur
l’écorce ; j’extirpe de la terre les pierres et les mauvaises herbes qui
entravent le lent travail de germination. À genoux, les mains plantées dans la
matière, je ne crains pas de me salir.
Ma peur ne m’apprend rien, elle me
rend plus attentive, plus humble, pas calme, mais consentante. Écrire est un
vent de tempête. J’avance difficilement, franchis quelques obstacles. J’insiste.
Ne lâche pas prise facilement.
Un souvenir d'enfance : Nagasaki, une
bombe a éclaté ce jour-là dans un roman que je lisais, provoquant une
béance, une ouverture au monde insoupçonnée et insoupçonnable. À partir de ce
jour, j’ai voulu voir Nagasaki, le
monde, sa douleur. En percevant ce cri du monde, j’ai été envahie par un
sentiment précis, extrême, innommable à l’époque. Et que j’appelle aujourd’hui
bonté : une présence tatouée au centre de la blessure.
Pour Renelle et Patricia : lac Aylmer, 26 octobre 2012 |
Quand on pense à la bonté, on se
heurte à l’ambiguïté d’un sens moral. La vie n’est pas douce, loin s’en faut ;
violente et déconcertante le plus souvent. Alors ma voix ne peut pas être
autosuffisante, mon regard satisfait.
L’amour surpasse la mort et
syncrétise la forme en une combinaison, une fusion d’éléments fragmentaires,
précaires et inachevés, essentiels dans le travail d’atelier. Le disloqué, le perdu témoignent
de la transmutation de la mort en amour.
Le texte obéit à la nécessité, à la
souffrance qui pèse sur lui et qui, dans l’effort, se rebelle contre le
désespoir et la déréliction. On entend
une musique, la présence se rapproche, rend caduque la peur et possible, par
conséquent, le langage. Sa manifestation. Excès, censure, violence versus
perceptibilité, délestage, chant.