UNE ESTHÉTIQUE DE LA BONTÉ

Chroniques de libres pensées créées à partir d'une citation d'auteur
par Dyane Raymond

mercredi 31 octobre 2012


« L’amour affronte la Mort, lui seul, non pas la vertu, est plus fort qu’elle. […] La forme, elle aussi, n’est faite que d’amour et de bonté. » Thomas Mann

Nulle part, et puis là parmi les hommes, parmi les femmes. Seule. Vide infiniment.  Dans un lieu ouvert, intact. L’espace circulaire de l’atelier. Tout donner. Les immontrables pleurs. Des larmes cendrées qui s’échappent, sans heurt, tracent des sillons, une voie d’où irradie une lumière. Un état consolateur des béotismes du quotidien. Un état de prière traversé par un passé imprévisible et un présent agité, traversé par la faim.

Une parole libre et sauvage ne se laisse pas toujours approcher facilement.  Une parole qui rapproche de la bonté, de la nature, de la force des choses. N’est-ce pas de cela dont il est question ; allers et retours entre la disparition et le possible, entre l’éblouissement et l’humilité, entre la défaite et le recueillement ? De part en part, entre soi et l’autre se faufile un sens, celui-là même créé par la faille qui existe, pour un temps, au-delà de la peur. Sans l’autre, je n’aurais peut-être pas peur, et je n’écrirais pas.

La pensée, la connaissance, l’art sont dans la nature, dans le mouvement, le vivant. Quand j’écris, je veux entendre le bruissement de l’eau, pister l’animal, caresser la mousse sur l’écorce ; j’extirpe de la terre les pierres et les mauvaises herbes qui entravent le lent travail de germination. À genoux, les mains plantées dans la matière, je ne crains pas de me salir.
Ma peur ne m’apprend rien, elle me rend plus attentive, plus humble, pas calme, mais consentante. Écrire est un vent de tempête. J’avance difficilement, franchis quelques obstacles. J’insiste. Ne lâche pas prise facilement.

Un souvenir d'enfance : Nagasaki, une bombe a éclaté ce jour-là dans un roman que je lisais, provoquant une béance, une ouverture au monde insoupçonnée et insoupçonnable. À partir de ce jour, j’ai voulu voir Nagasaki, le monde, sa douleur. En percevant ce cri du monde, j’ai été envahie par un sentiment précis, extrême, innommable à l’époque. Et que j’appelle aujourd’hui bonté : une présence tatouée au centre de la blessure.

Pour Renelle et Patricia : lac Aylmer, 26 octobre 2012

Quand on pense à la bonté, on se heurte à l’ambiguïté d’un sens moral. La vie n’est pas douce, loin s’en faut ; violente et déconcertante le plus souvent. Alors ma voix ne peut pas être autosuffisante, mon regard satisfait.

L’amour surpasse la mort et syncrétise la forme en une combinaison, une fusion d’éléments fragmentaires, précaires et inachevés, essentiels dans le travail d’atelier. Le disloqué, le perdu témoignent de la transmutation de la mort en amour.
Le texte obéit à la nécessité, à la souffrance qui pèse sur lui et qui, dans l’effort, se rebelle contre le désespoir et la déréliction.  On entend une musique, la présence se rapproche, rend caduque la peur et possible, par conséquent, le langage. Sa manifestation. Excès, censure, violence versus perceptibilité, délestage, chant.