UNE ESTHÉTIQUE DE LA BONTÉ

Chroniques de libres pensées créées à partir d'une citation d'auteur
par Dyane Raymond

mercredi 11 janvier 2012

« Mon désir se perd
   en cette étendue
des soirs irréels ! », Gilles Derome



L’amour ressemble à une quête perpétuelle, brisant la concentration feutrée des réveils, la pénombre immobile des fins d’après-midi, les sommeils apparemment calmes des nuits solitaires. Maintenant que je t'aime, le sommeil le plus quiet est encore celui de la solitude, mais je préfère que tu sois là ; et m'éveiller dans ton odeur incomparable, reconnaissable entre toutes ; et me faire bousculer par tes sursauts, tes insomnies, tes désirs d'aurore ; et écouter ta respiration en m'inquiétant qu'un jour, ou une nuit, elle cesse ; et poser un baiser sur ton avant-bras en me levant, bien avant toi, dans l'aube noire. Maintenant que je t'aime, je voudrais que tu ne partes jamais longtemps, que tu sois là tout le temps, que nous vivions rieurs, laborieux et heureux, sans contrainte. Maintenant que je t'aime, je voudrais que tout soit parfait, mais, bien sûr, ça ne l'est jamais.

Je te parle souvent de mes rêves de voyages. Ce road trip aux États-Unis, par exemple, que nous traverserions de haut en bas et de gauche à droite, avec tout le temps qu’il faut.

L'habitacle d'une voiture est un lieu exquis, confortable et intime. Rien ne vaut le défilement des paysages vu de cet intérieur, sinon dans le train — mon espace préféré. L'habitacle d'une voiture nous retient prisonniers tout en offrant sur des kilomètres et des kilomètres le paradoxe d'un libre silence dans lequel nous sommes seuls. Nous le savons et ne brisons pas cette solitude. Sauf pour badiner ou pour nous informer du trajet, des haltes ou pour nous regarder furtivement — toi parce que tu conduis, moi parce que tu conduis. Et tout ça est notre secret, notre vie intime, le lit de nos murmures, les draps froissés des défilements fugitifs.

L'Amérique est un mirage qu'il m'importe de traverser, une nuit d'enfance dans laquelle j'aimerais m'étendre et vaincre les monstres, les horreurs nocturnes, les vestiges. Cette Amérique à qui je ressemble tant et qui m'est étrangère. Cette Amérique détestable et grandiose ; désespérante, exaspérante, mais qui fait partie de la famille, veut veut pas ; et que je dois accepter et reconnaître, veut veut pas. Aucun accent français, qu'il soit lillois ou picard, ne s'étirera jamais comme une intonation d'Amérique : slapée, plus ou moins nasillarde, grave comme un chuchotement d'homme, avec un tout petit côté pointu. Une voix puissante par ailleurs, une voix gospel, une voix qui ne mourra pas de sitôt parce qu'elle parle plusieurs langues. Parce qu'elle est un continent.