UNE ESTHÉTIQUE DE LA BONTÉ

Chroniques de libres pensées créées à partir d'une citation d'auteur
par Dyane Raymond

mercredi 25 avril 2012


« Évite les sujets trop vastes ou trop lointains où rien ne t’avertit quand tu t’égares. » Robert Bresson

Pour J.J.
« Je m’inquiète pour toi. » Elle disait cela, c’était à Paris, il y a longtemps, rien d’autres, pas plus. En observant ma dérive, en craignant pour ma vie. C’était un murmure qui s’est mis à enfler jusqu’à mon oreille. L’oreille enflée. Jusqu’à finir par entendre, pas la raison, mais la musique ; par comprendre,  pas le bon sens, mais la bonté, derrière quelques mots qui font trois petits tours et puis s’en vont. Mes amies ont disparu. Derrière une porte. Derrière une baie vitrée. Ont traversé un pont. Ont traversé un océan. Ont traversé le temps et la lumière. Elles sont encore là.

J'aime m'égarer dans les halls de gare. À regarder les gens partir et venir. À courir après un train parce que je m’arrange toujours pour arriver juste ! À observer les pigeons voleter entre les valises en buvant un café, parce que cette fois-là, je suis en avance. Parfois je la traverse seulement, la gare, d’un bout à l’autre, admirant la lumière gorgée de poussières à travers les verrières, appréciant le simple fait de n'être ni dans une file d’attente ni dans un train qui s'ébranle. Je la traverse d’un bout à l’autre et ressors dans l’après-midi délabré de Paris.


Des années plus tard, nous étions sur la rue Bélanger en train de traverser la rue Christophe-Colomb, elle a serré ma main : « Cet homme n’aime pas ton projet, il ne t’aidera pas. » Il était question de ma thèse. Elle avait encore raison, mais je ne l’ai pas écoutée. Je me suis entêtée, et c’est vrai que le sujet était peut-être trop vaste, mal orienté, et aussi que je n’ai pas vu venir la déroute. Ou plutôt si, je l’ai vue arriver, à la vitesse d’un accident de voiture ; évidemment, il était déjà trop tard.
On ne contrôle pas tout. On prend certaines décisions qui nous mènent à Paris ou nous font foncer dans le mur. On est ce qu’on est. Ça ne veut rien dire. Ça n’explique pas la vie, qui n’a ni queue ni tête.
La vie qui croasse des chants d’amour délirants au printemps. La vie qui patauge dans la bouette et sent bon le dégel. La vie qui s’embourbe dans des ornières trop creuses et prend plaisir à nous regarder nous déprendre. La vie qui roule à vélo, les cheveux mouillés en sortant de la piscine. La vie des bons vins plus jamais tristes. La vie des gens qu’on aime aimer, comme dirait mon amie Sophie.
La vie des espoirs et des désenchantements.