«La littérature n’est pas qu’une simple tromperie, elle est
le dangereux pouvoir d’aller vers ce qui est, par l’infinie multiplicité de
l’imaginaire. » Maurice Blanchot
Le travail entrepris au détour
d’une idée, d’un surgissement, d’une personne, planté dans un décor plus vrai
que nature, ne finit pas avec l’accomplissement de l’ouvrage. Il commence, au
contraire, dans le retour à la réalité. Il s’agglutine à une
réalité comme un insecte et installe déjà la suite.
Je ne crois pas qu’il y ait d’espace faux dans l’écriture, mais des lieux inconnus dans lesquels forcément on ne peut installer que des vérités aléatoires. C’est bien d’un tâtonnement qu’il s’agit, un fol espoir, une errance.
Je ne crois pas qu’il y ait d’espace faux dans l’écriture, mais des lieux inconnus dans lesquels forcément on ne peut installer que des vérités aléatoires. C’est bien d’un tâtonnement qu’il s’agit, un fol espoir, une errance.
Écrire est une façon de traverser
la vie, d’accomplir sa mort. Le temps n’offre aucune réparation, il creuserait
encore davantage le gouffre de l’absence et de l’impuissance. Le temps ne
répare pas l’injustice, il est impitoyable. L’écriture me permet de briser des liens avec le passé et
l’avenir ; elle permet un dépassement, une altérité. Voilà comment je reste en
vie. Je ne suis pas une écrivaine. Mais j’écris. Je traduis un chant. Fais
rejaillir une voix première. C’est peut-être la seule façon que je possède de
me réconcilier avec mon corps de mortelle. Dans cette solitude fondamentale,
j’installe le vivant du texte. Mon écriture n’est que partielle, en ce sens
qu’elle ne livre pas tout, qu’elle manque de mots, qu’elle achoppe parfois
devant l’exigence de la forme. On ne peut, bien sûr, se mettre tout entier dans
un texte. L’incomplétude fait partie de l’écrit et je n’ai d’autre choix que
l’imperfection.
J’aime les phrases, j’aime les
mots. J’aime manger et boire du bon vin. Penser, écrire,
manger, c’est éprouver encore davantage.
Mais cela ne se fait pas sans risque. On ne peut jamais appréhender
entièrement ce qui nous guette dans le détour. Incessamment surgissent des
affects qui mettent ma vulnérabilité à l’épreuve. Là se situe peut-être une partie de la
vérité, dans cet espace apeuré. Sur les rebords de soi, dans le rêve, les
cauchemars, les insomnies. La voix du texte n’est pas un flux ininterrompu de
phrases, mais un filet ténu menaçant de le faire basculer dans l’égarement à
chaque hésitation, au moindre doute.
J’écris, je vis, dans un état d’urgence qui ne se traduit pas en nervosité, fébrilité ou angoisse,
mais en secondes : secondes corporelles et intellectuelles, secondes
amoureuses, créatrices, épicuriennes.
Le temps n’est qu’un métronome. L’urgence, quant à elle, agit comme principe organisateur d’une philosophie de création (Claire Lejeune).