UNE ESTHÉTIQUE DE LA BONTÉ

Chroniques de libres pensées créées à partir d'une citation d'auteur
par Dyane Raymond

mercredi 7 mars 2012

« Comment s’oublier ? », Hélène Cixous

Le corps tremble. L’esprit part à l’épouvante. La peur parce que la vie déraille. Parce que le grain de sable dérègle l’engrenage. La peur est une sottise, mais elle envahit la peau et l’âme, jusqu’aux confins de la joie. Elle feule, darde son venin. Elle salit, grafigne, pétrifie. On ne peut pas la remettre à plus tard. Passer à côté. Faire comme si de rien n’était. On est l’objet et l’origine de sa peur.








Le premier mouvement en sera un de fermeture : fermer le livre, fermer l’ordinateur, fermer la parole, fermer la porte. Au moment de sortir, d’aller dehors, chercher d’abord du silence pour que peu à peu une pensée prenne place dans l’avancée.

Y aller. M’immerger dans la piscine, quand il fait –20°C dehors. Le contact de prime abord est peu engageant. Mais lorsque le corps se déploie, avance à la surface de l’eau, lorsque le mouvement est bien amorcé, que les jambes et les bras effectuent d’eux-mêmes l’effort, c’est que ça commence. Peu à peu vient le vide, pas celui des vertiges, celui du rien. Une partie de mon cerveau demeure consciente et compte les longueurs, tandis qu’une autre glisse lentement dans l’espace du donné, un couloir fluide comme la matière qui le supporte.

Y aller. Je chausse mes bottes, enfile mon manteau, sort. Il faut se soustraire au bien-être de la maison et au réconfort du travail en cours. Marcher vers l’inconnu sur un chemin parcouru des centaines de fois : le rang 4, le rang 7, la route qui traverse le village. Ici le pas est long et rapide. Sans interférence, sauf parfois celle du vent, d’un chien qui vient saluer ou d’une voiture qui transperce le paysage. L’esprit à son tour se met en marche, tout haut. Ma voix est celle d'un texte ou d’un projet, d'un rêve à réaliser, une oralité claire et précise comme jamais. Je n’apporte ni crayon ni calepin, laisse les idées libres et fugitives.

Y aller. L’ours est sorti de sa tanière et laisse parfois des crottes sur le sentier, comme les chevreuils, les ratons laveurs, les renards ou les autres bêtes qui me voient sans que je les aperçoive. Dans la forêt, la solitude est plus longue à s’installer que dans l’eau ou sur le chemin, à cause d’elles, les bêtes, mais aussi des arbres, des feuilles et des branches, du sol, du ruisseau, des roches, des éclats de lumière : tout n’est que bruissements, craquements, présences. Plus je m’enfonce dans le bois, plus j'en deviens une partie intégrante.
L’état contemplatif des matins où s’installe l’écriture provient de ces lieux.
De captation.
Un espace de bonté qui se crée à partir des destructions et des nécessités.