Le silence, le vide, l’âme noire du
matin, qui précèdent le lever du jour, produisent un réel in-forme et sans bruit. Puis soudain,
le soleil apparaît avec son fracas de lumière et sa marge d’erreur. Se mettent
alors en place des gestes et des actions qui s’assemblent, s’entremêlent,
s’éparpillent, se dispersent, se perdent…
L’été, le premier geste
que j'accomplis, quelle que soit l’heure, est de nager dans l’eau froide du petit lac alimenté par le ruisseau qui descend de la montagne. À chaque fois, j’ai l’impression d’entrer dans le ventre de Dieu.
Une sanctification. Oui. Qui décuple les forces. Et petit à petit, au fil des
minutes qui progressent vers le jour, se définissent les pôles avec lesquels je
travaillerai.
La bonté, toujours, reste le lien accompagnateur, la force
vive grâce à laquelle les puissances qui m’accompagnent se multiplient.
Dans le labeur de l’artiste, ces puissances
revêtent, il me semble, un caractère encore plus essentiel et plus grave parce
qu’empreintes d’une responsabilité propre (éthique, esthétique, sociale). Ça
n’a rien à voir avec un quelconque élitisme, l’artiste ne fait que son travail.
Un travail, en revanche, primordial à la respiration du monde.
Respiration nourrie, aussi, par
les besoins et les élans d’affection et de tendresse.
photo Paul Grégoire
Quand l’amie détourne la tête, je
reste interdite sous l’impact de la violence ; quand la famille de perdreaux
s’affole à mon approche, je voudrais devenir aussitôt transparente et
inoffensive ; quand le silence enfle jusqu’à l’inquiétude, c'est là qu'il faudrait
l’entendre, la musique.
Le pouvoir de l’amour, sa force
importent plus que tout, leur action détermine la Vie. Si je cesse d’aimer, ma
conscience peu à peu s’éteindra et je mourrai d’étouffement. De même, si l’artiste
ne peut travailler, l’âme du monde s’éteindra avec lui.
L’individu est la partie d’un
Tout ; une totalité qui dans la création, comme dans la vie, ne l’oppose pas à
l’Infini, l’y intègre au contraire. Les gestes posés deviennent objets de
mutation dans lesquels le silence et la voix rencontrent leur possibilité. Du
dit et du non-dit, une friction entre le communiqué et l’inexprimé. Cette
tension, friction, trace un chemin dans l’imparfait du
langage, du mouvement, des textures, vers une plus grande liberté. Mouvements
d’enchantement où chaque espace dévoilé entraîne à son tour une disparition. Un
renoncement à l’attrait du paraître, de la séduction, du désir. Un appel. Un rigoureux amour porté vers la nature,
les hommes et les femmes ; porté vers l’exigence de l’élégance.
Présence
de corps, présence d’esprit sont ainsi déployés vers un affinement, une précision de l’idée, de la pensée, de
l’émotion.
Alors, parfois, se produit l’inexplicable.