UNE ESTHÉTIQUE DE LA BONTÉ

Chroniques de libres pensées créées à partir d'une citation d'auteur
par Dyane Raymond

mercredi 20 juin 2012

« Si tu regardes longtemps dans un abîme, l’abîme regarde aussi en toi. » Friedrich Nietzsche

Le silence, le vide, l’âme noire du matin, qui précèdent le lever du jour, produisent un réel in-forme et sans bruit. Puis soudain, le soleil apparaît avec son fracas de lumière et sa marge d’erreur. Se mettent alors en place des gestes et des actions qui s’assemblent, s’entremêlent, s’éparpillent, se dispersent, se perdent…

L’été, le premier geste que j'accomplis, quelle que soit l’heure, est de nager dans l’eau froide du petit lac alimenté par le ruisseau qui descend de la montagne. À chaque fois, j’ai l’impression d’entrer dans le ventre de Dieu. Une sanctification. Oui. Qui décuple les forces. Et petit à petit, au fil des minutes qui progressent vers le jour, se définissent les pôles avec lesquels je travaillerai.

La bonté, toujours, reste le lien accompagnateur, la force vive grâce à laquelle les puissances qui m’accompagnent se multiplient. 

Dans le labeur de l’artiste, ces puissances revêtent, il me semble, un caractère encore plus essentiel et plus grave parce qu’empreintes d’une responsabilité propre (éthique, esthétique, sociale). Ça n’a rien à voir avec un quelconque élitisme, l’artiste ne fait que son travail. Un travail, en revanche, primordial à la respiration du monde.
Respiration nourrie, aussi, par les besoins et les élans d’affection et de tendresse.

                                                                                          photo Paul Grégoire

Quand l’amie détourne la tête, je reste interdite sous l’impact de la violence ; quand la famille de perdreaux s’affole à mon approche, je voudrais devenir aussitôt transparente et inoffensive ; quand le silence enfle jusqu’à l’inquiétude, c'est là qu'il faudrait l’entendre, la musique.
Le pouvoir de l’amour, sa force importent plus que tout, leur action détermine la Vie. Si je cesse d’aimer, ma conscience peu à peu s’éteindra et je mourrai d’étouffement. De même, si l’artiste ne peut travailler, l’âme du monde s’éteindra avec lui.

L’individu est la partie d’un Tout ; une totalité qui dans la création, comme dans la vie, ne l’oppose pas à l’Infini, l’y intègre au contraire. Les gestes posés deviennent objets de mutation dans lesquels le silence et la voix rencontrent leur possibilité. Du dit et du non-dit, une friction entre le communiqué et l’inexprimé. Cette tension, friction, trace un chemin dans l’imparfait du langage, du mouvement, des textures, vers une plus grande liberté. Mouvements d’enchantement où chaque espace dévoilé entraîne à son tour une disparition. Un renoncement à l’attrait du paraître, de la séduction, du désir. Un appel. Un rigoureux amour porté vers la nature, les hommes et les femmes ; porté vers l’exigence de l’élégance.
Présence de corps, présence d’esprit sont ainsi déployés vers un affinement, une précision de l’idée, de la pensée, de l’émotion.

Alors, parfois, se produit l’inexplicable.