lorsque s’enfle le vent et qu’il semble pleuvoir plus fort »
Fernando Pessoa
Pour
Priscille, mon affection t'accompagne
Dire que l’humain est constitué de
paradoxes est un euphémisme.
Sans la pensée qui l'habite,
l'œuvre n'aurait pas de corps, l'artiste pas d'âme. Et l’un comme l’autre sont changeants, mouvants,
déstabilisants. La pensée, vue comme un lieu où conscience et sacré deviennent
chair, lieu de la prière et du
cri, de l'amour et du tremblement...
Regard sur le ciel ; lumière
noire de l’aube.
Vivre implique un état
intérieur centré sur du sensible, sur la victoire — impermanente — de la
liberté sur la mort. L’être
pensant porte son regard sur une extériorité, un objet ouvert sur le monde, et
ainsi animé et agissant, il est alors capable d’ajouter à la conscience
spontanée, une conscience de lui-même éclairée par de l’autre et du possible ;
on en revient toujours à ça.
C’est ainsi que l’artiste, perméable aux choses vivantes — minérales, végétales, animales, humaines — est
capable d’en saisir l’identité autrement que par une vision centrée sur
lui-même. Cela produit parfois un miracle ou, nommé autrement, de l’étonnement.
La bonté est amour,
rigoureusement ; et celui-ci s’exprime pour l’être, et pour l’artiste, à
travers le langage, l’œuvre, le silence. Dans la relation qu’il tente d’établir entre son sujet et son
objet, le langage devient une révélation, au sens où il la rend possible, où il suppose un réel
pluriel — mouvements entre du moi et de l’autre. L’étonnement provient de ces mouvements libres dont le langage et avant lui la pensée sont originaires de
l’expérience.
Pensée phare. Noirceur, solitude, silence ;
agitation de l’intime, mémoires entremêlées. Le silence façonne la pensée, on entend une musique.
Le silence accueille la pensée ; dans la nuit, déserte, il y aura une perte — de lumière, de soi — à partir de laquelle s’ouvrira peut-être un passage.
Le silence accueille la pensée ; dans la nuit, déserte, il y aura une perte — de lumière, de soi — à partir de laquelle s’ouvrira peut-être un passage.
Emportement et danger. L’art est
risqué.
L’atelier, la réflexion, la pensée
ressemblent à un lac enclavé dans la forêt, un espace sauvage, à la fois transparent
et opaque où se reflète l’ombre des grandes épinettes, de la lune et des
étoiles : quelque chose en quoi réside le pouvoir du créateur, en quoi l’idée
réfléchie et l’idée sentie s’affrontent parfois pour se rendre jusqu’à ce qu’on
pourrait appeler l’intelligence de l’œuvre, dépassant par là l’instinct ou
l’honnêteté de l’artiste. Le temps,
l’autre, la mort, la pensée se rencontrent et forment une présence qui établit
un lien, aide à canaliser le talent et l’expérience vers une exécution
sensible, une captation, une attention portée vers un dehors dont personne ne
revient indemne. Plus libre ? Peut-être.
En revanche, la liberté, on le
sait, n’est jamais simple et la responsabilité qui s’y rattache non plus. La pensée ne
serait-elle pas ce par quoi on tente (et réussit parfois) à changer la
direction du vent ; je veux dire en débattre avec l'implacable réalité pour lui
faire entendre l'utopie ? Et c'est ainsi que la générosité d’un souffle discret
tisse une pensée dans le délié du durcissement. L’écriture, entre autres, est un lieu de présence, un lieu qui
doit trouver un corps pour exprimer, matérialiser sa pensée.
La pensée ouvre l'esprit à la
conscience par la prière, pas seulement celle du recueillement ou de la
solitude ; celle encore de l’écoute, de l’ouverture, de la ferveur.
Le langage,
quant à lui, représente le signe, la trace, le trait par lequel l'artiste exprime
son besoin de reconnaissance : j'étais là, je vous le dis, vous le voyez,
l'entendez, j'existe.
Et puis, en somme, ce mot encore,
cet acte, présence. Le risque de la présence : une
entrave à ce qui est lisse et sans faille. Un langage en soi.
Le premier mot. Une
pensée. Avec, toujours, le droit à
l’erreur.