UNE ESTHÉTIQUE DE LA BONTÉ

Chroniques de libres pensées créées à partir d'une citation d'auteur
par Dyane Raymond

mercredi 13 juin 2012

« Penser dérange comme de marcher sous la pluie /
lorsque s’enfle le vent et qu’il semble pleuvoir plus fort » Fernando Pessoa

Pour Priscille, mon affection t'accompagne
Dire que l’humain est constitué de paradoxes est un euphémisme.
Sans la pensée qui l'habite, l'œuvre n'aurait pas de corps, l'artiste pas d'âme. Et l’un comme l’autre sont changeants, mouvants, déstabilisants. La pensée, vue comme un lieu où conscience et sacré deviennent chair, lieu de la prière et du cri, de l'amour et du tremblement... 
Regard sur le ciel ; lumière noire de l’aube.

Vivre implique un état intérieur centré sur du sensible, sur la victoire — impermanente — de la liberté sur la mort. L’être pensant porte son regard sur une extériorité, un objet ouvert sur le monde, et ainsi animé et agissant, il est alors capable d’ajouter à la conscience spontanée, une conscience de lui-même éclairée par de l’autre et du possible ; on en revient toujours à ça.
C’est ainsi que l’artiste, perméable aux choses vivantes — minérales, végétales, animales, humaines — est capable d’en saisir l’identité autrement que par une vision centrée sur lui-même. Cela produit parfois un miracle ou, nommé autrement, de l’étonnement.

La bonté est amour, rigoureusement ; et celui-ci s’exprime pour l’être, et pour l’artiste, à travers le langage, l’œuvre, le silence. Dans la relation qu’il tente d’établir entre son sujet et son objet, le langage devient une révélation, au sens où il la rend possible, où il suppose un réel pluriel — mouvements entre du moi et de l’autre. L’étonnement provient de ces mouvements libres dont le langage et avant lui la pensée sont originaires de l’expérience. 

Pensée phare.  Noirceur, solitude, silence ; agitation de l’intime, mémoires entremêlées. Le silence façonne la pensée, on entend une musique.
Le silence accueille la pensée ; dans la nuit, déserte, il y aura une perte — de lumière, de soi — à partir de laquelle s’ouvrira peut-être un passage.



Emportement et danger. L’art est risqué.
L’atelier, la réflexion, la pensée ressemblent à un lac enclavé dans la forêt, un espace sauvage, à la fois transparent et opaque où se reflète l’ombre des grandes épinettes, de la lune et des étoiles : quelque chose en quoi réside le pouvoir du créateur, en quoi l’idée réfléchie et l’idée sentie s’affrontent parfois pour se rendre jusqu’à ce qu’on pourrait appeler l’intelligence de l’œuvre, dépassant par là l’instinct ou l’honnêteté de l’artiste. Le temps, l’autre, la mort, la pensée se rencontrent et forment une présence qui établit un lien, aide à canaliser le talent et l’expérience vers une exécution sensible, une captation, une attention portée vers un dehors dont personne ne revient indemne. Plus libre ? Peut-être. 
En revanche, la liberté, on le sait, n’est jamais simple et la responsabilité qui s’y rattache non plus.  La pensée ne serait-elle pas ce par quoi on tente (et réussit parfois) à changer la direction du vent ; je veux dire en débattre avec l'implacable réalité pour lui faire entendre l'utopie ? Et c'est ainsi que la générosité d’un souffle discret tisse une pensée dans le délié du durcissement. L’écriture, entre autres, est un lieu de présence, un lieu qui doit trouver un corps pour exprimer, matérialiser sa pensée.
La pensée ouvre l'esprit à la conscience par la prière, pas seulement celle du recueillement ou de la solitude ; celle encore de l’écoute, de l’ouverture, de la ferveur. 
Le langage, quant à lui, représente le signe, la trace, le trait par lequel l'artiste exprime son besoin de reconnaissance : j'étais là, je vous le dis, vous le voyez, l'entendez, j'existe.

Et puis, en somme, ce mot encore, cet acte, présence.  Le risque de la présence : une entrave à ce qui est lisse et sans faille.  Un langage en soi.  Le premier mot.  Une pensée.  Avec, toujours, le droit à l’erreur.