UNE ESTHÉTIQUE DE LA BONTÉ

Chroniques de libres pensées créées à partir d'une citation d'auteur
par Dyane Raymond

mercredi 27 juin 2012


« Dès lors il n’y a plus de mots innocents. » Pierre Bourdieu

Pour Danchka
Dans la multiplicité et la complexité des éléments du langage, le malentendu, qui apparaît au départ comme une divergence d'interprétation, peut être considéré, par ailleurs, en tant que phénomène pouvant instaurer aussi des liens, voire des affinités, entre des faits ou des propos. Le malentendu est considéré alors comme une relation de communication dans laquelle l’interaction fait face à une non-coïncidence des interprétations. De là à prétendre que le malentendu se présente comme un élément créatif du discours, il n’y a qu’un pas. Que je franchis, au sens où la part d’ombre, de flou qu’il provoque permet aux échanges de n’être pas restreints au sens premier des mots, mais d’ouvrir vers du doute et de l’inconnu : une liberté, pourrait-on dire, d’entendre et de comprendre qu’un locuteur offre à un autre dans un enchevêtrement de pensées et de sens.

À ne pas confondre cependant avec l’incompréhension qui, elle, installe un clivage, un quant-à-soi ou une rupture dans l’échange ; et à partir de là, on a de cesse d’imposer un point de vue ou de corriger un sens.
Alors qu'au contraire, le malentendu propose un possible, un espace qui reste attentif au discours de l'autre, au doute, éclairé par la faille et l’ouverture, dans un contexte, bien sûr, où n’entrent pas en compte le pouvoir, la peur ou le pathos.

Dans le travail de création, les interprétations sont multiples, et dans ces mouvements multiples, le malentendu tend vers la nécessité de penser l’œuvre comme une ouverture, une possibilité, un inachèvement. En tant qu’élément du réel, que fraction de sens, le malentendu ne cherche pas à rétablir une vérité, mais plutôt à en construire de nouvelles. 
La pensée dans l’œuvre est une prise de parole et de position qui, même discrète, provoque une alternance entre le dehors et le dedans et fonde dans son mouvement l’expérience de communication. Le malentendu donc, en tant que phénomène du discours, se propose comme élément d’interlocution et d’intersubjectivité. Ici, je pense au principe de l’œuvre dite ouverte développé par Umberto Eco, laquelle est le fruit de relations dans son travail qu’établit l’artiste pendant la gestation, l'accomplissement et finalement avec l’œuvre inachevée à la fin du processus. Puis, des relations qu’entretiendra le lecteur ou le spectateur avec ce même objet inachevé, et auquel il apportera la part obscure de l’œuvre : sa propre complexité personnelle, culturelle, sensible. L’objet de création se transforme, devenant un kaléidoscope de perceptions, de voix, d’éclairages et, de ce fait, une œuvre singulière. Dans ce libre accès à l’objet de création, chacun puise et fournit du sens et de l'émotion, et façonne ainsi l’œuvre en une architecture ouverte où ambiguïtés et malentendus composent une part de la poétique de l’œuvre. L’artiste et le spectateur ou le lecteur se rencontrent rarement, néanmoins chacun d'eux accompagne l’œuvre dans l’imprévision et l’imperfection de sa posture.

Ces œuvres en mouvement ne cessent donc de se modifier et de se recomposer. Ce faisant, elles provoquent des apparitions de réels, de possibles et créent un lien paradoxal entre présence et temporalité, entre inachèvement et concrétude, entre engagement et silence.