« […] que le temps n’est pas le fait d’un sujet exposé seul,
mais qu’il est la relation même avec autrui. » Emmanuel Levinas
En approfondissant cette idée de la
solitude, on peut la penser comme une liberté première, l’espace où je dis je, découvrant ainsi en tant que vivant ma
capacité d’être avec moi-même évidemment, mais aussi d’agir et d’intervenir sur
la vie elle-même. Cependant, il y
a aussi le risque que l’être qui contrôle ainsi sa vie s’enchaîne à lui-même,
s’encombre de lui-même. Il semble essentiel pour surmonter ce poids de
s’oublier aussi, d’aller vers d’autres nourritures terrestres. Mais cela n'annihile pas la solitude ni à plus forte raison la souffrance. Le temps ne se laisse pas assimiler
par l’expérience (l’avenir par exemple nous échappe), comme la mort. Notre
rapport au temps ne prend donc pas la forme d’une communion, mais d’un face à
face, comme notre relation avec autrui.
Ainsi, la solitude se construit
comme un état souverain, propre à chacun, dans la composition de l’être et de
son identité. On ne peut lui échapper : elle constitue notre maîtrise de
soi, notre responsabilité, notre liberté. Un espace où le présent opère une
déchirure, un point de rupture dans l’illimité du temps existant. Dans ce
temps, il y a comme un bruissement, une forme impersonnelle, anonyme, un
présent irrémédiable. La solitude constitue aussi un mystère ; soi devant
l’insaisissable : l’autre, l’avenir, la mort. Et il existe effectivement une
parenté entre ces notions ; chacune se profile comme un horizon, une ombre, une
énigme.
C’est dans la souffrance que
s’exprime peut-être le plus définitivement le drame de la solitude. Il est
impossible de se dissimuler à la souffrance et partant à la mort. La mort est
insaisissable et force à la passivité, elle arrive, elle est là. Nous voilà
devant un mystère radical.
En revanche, c’est dans l’amour que
le mystère dans notre relation à l’autre est peut-être le plus sensible, là où
il y a un pur contact avec une altérité sans que le je disparaisse ; là aussi où la relation à l’autre renvoie à
l’impossibilité de le posséder, de le saisir. Là où la relation à l’autre ne
peut être envisagée dans un rapport de pouvoir, car la liberté de soi et de l’autre
n’entre pas dans un rapport de fusion ni de communion, mais résulte d’un face à
face.